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The Maltese Falcon | Le Faucon Maltais | John Huston | 1941


Titre Original : The Maltese Falcon

Titre Français : Le Faucon Maltais

Année : 1941

Etats-Unis - Film Noir / Policier - 1h41


Réalisation : John Huston

Avec Humphrey Bogart (Sam Spade), Mary Astor (Brigid O'Shaughnessy), Gladys George (Iva Archer), Peter Lorre (Joel Cairo), Barton MacLane (Det. Lt. Dundy)...





L'invention du noir Par Jean-Luc Douin

Sales histoires. Qui commencent à San Francisco, en 1915. Pour 10 dollars par jour, Dashiell Hammett passe des heures embusqué sous des porches d'immeuble, à filer le train à des suspects. Costume cintré cravate, moustache dandy, ce grand type élégant cache une entaille au crâne sous son feutre impec. Il a des cicatrices aux jambes, il vote rouge, crache du sang. C'est un tubard alcoolo. Officiellement, il est détective privé, à l'agence Pinkerton. Viscéralement, agent trouble. Il hante la ville des vices et des corruptions, ses bars, ses docks, ses champs de courses et ses combats de boxe. Hammett n'est pas homme à protéger la propriété privée, ni à se rendre complice des injustices sociales. Lassitude, écoeurement, démission.

Hammett renaît au début des années 1920. Comme écrivain. Des personnages douteux qu'il a fréquentés, de ces affaires sordides qu'il considère comme de la "pisse d'âne", il fait des nouvelles publiées par le mensuel Black Mask. Engagé comme rédacteur publicitaire à mi-temps chez un bijoutier, il a d'abord adressé ses premiers textes au magazine Smart Set (l'ancêtre du New Yorker), puis découvert que, comme après lui William Burnett, Don Tracy, James Cain ou Horace Mc Coy, venus du journalisme sportif ou criminel, il est l'auteur rêvé des pulp magazines, ces revues vendant de ténébreuses sensations imprimées sur du mauvais papier. Black Mask (dont le nom attise la mythologie du loup noir porté par les héros de la littérature populaire) a été lancé pour renflouer les caisses de Smart Set. Il va peu à peu évoluer vers la littérature hard-boiled, le récit "dur à cuire".

Hommes mélancoliques dans troquets sombres, rousses flamboyantes en négligés affolants, guet-apens dans les impasses, pin-up toisant le fouille-merde en fumant une cigarette ou en le menaçant d'une arme, ombre inquiétante sur un mur, voiture dérapant dans la nuit ou fantôme de blonde errant sous la pluie : c'est là, dans les pulps, les paperbacks à quatre sous, qu'est né un genre qui, depuis, a prospéré en célébrant le crépitant mariage de la mitraillette et de la machine à écrire, puis les noces noires des anges aux figures sales avec le cinéma.

Pas de panique ! Le terme de detective story a été inventé par Edgar Allan Poe, créateur du premier détective amateur (Auguste Dupin). Le Sherlock Holmes d'Arthur Conan Doyle est bien le premier détective privé (créé en 1887), avant que ne naissent un détective-cambrioleur (l'Arsène Lupin de Maurice Leblanc, en 1905), un détective-reporter (le Rouletabille de Gaston Leroux, en 1907), un prêtre-détective (le Père Brown de Chesterton, en 1910). Mais si l'on parle aujourd'hui de film noir, si Quentin Tarantino a fait d'Uma Thurman une sulfureuse séductrice dans Pulp Fiction, c'est à la gloire des hard-boiled aux couvertures tapageuses qu'on le doit (couvertures qui influenceront les affiches des films ténébreux), et à la façon dont Dashiell Hammett transcenda ces histoires où le privé se préoccupe moins de prouver son ingéniosité à manipuler passe-partout et pinces-monseigneur qu'à fumer des tonnes de cigarettes et à vider des bouteilles de whisky dans des chambres d'hôtels miteux.

"Dashiell Hammett, c'est l'ange tutélaire, dit Jean-Bernard Pouy, inventeur en 1995 du Poulpe, un personnage qu'ont fait vivre plusieurs auteurs. C'est d'abord l'homme qui fascine. Plus que les autres, il ressemble à l'idéal des écrivains de l'école du néo-polar français : un type pour lequel l'écriture est importante, mais pas nécessaire. Qui est capable de disparaître pour boire, vivre, aimer, militer. On nous a accusés d'être issus de Mai 68. Erreur ! Tout vient de lui, acteur de son temps !"

"Hammett, le jazz : on a baigné là-dedans. C'est l'emblème du thriller à motivations politiques", dit Alain Corneau, auteur du film Série noire (1979). Tandis que le réalisateur Francis Girod souligne son écriture "qui respirait le cinéma à chaque phrase". Et que l'écrivain Michel Le Bris, le créateur du Festival de Saint-Malo, honore "la sensation d'une inépuisable énergie, d'une écriture vouée aux marges, aux ruelles sordides, aux arrière-cuisines, enfin libérée des ronds-de-jambe et des préciosités salonnardes".

"J'ai la peau dure sur ce qui me reste d'âme et, après vingt années passées dans le monde du crime, je peux regarder n'importe quel meurtre sans y voir autre chose que du beurre dans les épinards, mon boulot quotidien" : telle est la cynique profession de foi de Continental Op, le détective dont Hammett va faire le héros de vingt-six nouvelles et de deux romans, avant d'imaginer Sam Spade, le narrateur du Faucon de Malte (Gallimard). Raymond Chandler trouvera une formule immortelle pour honorer la révolution lancée par Hammett : "Il a sorti le crime de son vase vénitien et l'a flanqué dans le ruisseau. (...) L'idée ne semblait pas si mauvaise de l'éloigner des conceptions petites-bourgeoises sur le grignotage des ailes de poulet par les jeunes filles du grand monde."

Dashiell Hammett n'a cure des haut-le-coeur de la National Organization of Decent Literature, qui demande parfois à la Brigade des moeurs de saisir certains Pocket Books trop éloignés des énigmes pudding d'Agatha Christie. Il est de ceux qui glissent des dragées au poivre dans les thrillers trop rhétoriques et jettent du piment sur "la langue de bois des politiciens, des prédicateurs, des hommes de loi". Ouvertement lancés comme des pavés contre l'Amérique capitaliste, les textes d'Hammett allient critique sociale, violence documentaire, lyrisme brutal. Il ne s'agit plus, chez lui, de mettre en valeur les subtiles déductions d'un invulnérable enquêteur, mais de plonger un incorruptible désabusé dans une atmosphère glauque, de le faire réagir avec ses nerfs et ses tripes, de lui faire plonger les mains dans l'ordure, de le faire se faufiler chez les crapules. Il n'y a plus de crimes parfaits, il n'y a que des meurtres odieux. Il n'y a plus d'énigme prétexte à divertissement cérébral, mais la sensation suffocante de s'immiscer dans l'empire du Mal. Le tout dans un style efficace, qui "claque comme un coup de fouet", un langage cru, un découpage de séquences rapide et frénétique.

C'est ainsi que, jusqu'en 1952 - date à laquelle la croisade anti-communiste allait s'acharner contre lui -, Hammett fut constamment réédité et que son influence grandit. C'est ainsi que les studios hollywoodiens achetèrent les droits d'adaptation des pulps, et engagèrent certains de leurs auteurs comme scénaristes. C'est ainsi que, transposé au cinéma par John Huston en 1941, Le Faucon maltais donne au film noir un radical coup de punch. Le cinéaste impose des lieux (local du privé, appartement de la vamp, ruelles abandonnées), des objets (téléphone, chapeau feutre, cigarettes), des personnages (femme fatale aux yeux cobalt, Levantin parfumé, chérubin meurtrier, gangster épicurien aux râles asthmatiques), et un climat morbide où rôdent peurs et désirs.

Le héros est un homme sans état civil ni morale, qui manie l'humour à froid et l'ironie nonchalante. Il a un langage et une conduite à heurter les douairières, un flegme misogyne à l'égard de ses maîtresses. Hammett en savait long sur les tueurs à gages et les maniaques sexuels, les politiciens corrompus et les dames nymphomanes, les avocats véreux et les tenanciers de boîtes louches. De l'assassinat qui donne le coup d'envoi de ses mystères, il ne donne à voir qu'un coup de revolver dans le brouillard. Après, "les dialogues parlent à la place des armes, écrit Roger Tailleur dans Positif (N° 75, mai 1966), les personnages se mitraillent de mots", lesquels s'appliquent à "compliquer les malentendus, à entortiller l'adversaire".

Tandis que le film noir se propage un peu partout, en Italie (Ossessione de Luchino Visconti, 1942), Angleterre (Le Troisième Homme de Carol Reed, 1947), Japon (Chien enragé d'Akira Kurosawa, 1949), France (Bob le Flambeur de Jean-Pierre Melville, 1955), Egypte (Gare centrale de Youssef Chahine, 1958), et qu'il vampirise tous les genres hollywoodiens, contaminés par les thèmes de la loi et du désordre, de la corruption, du destin fatal, dans des esthétiques brumeuses, vouées aux fantasmes morbides et au cauchemar, est créée en France en 1945 par Marcel Duhamel, chez Gallimard, la "Série noire", appellation trouvée par Prévert.
Bientôt accompagnée, chez les concurrents, par d'autres collections ("Le Bandeau noir", "La Veuve noire", "Fleuve noir"...), cette collection fascine les amateurs de filles fatales en bas Nylon et de dérives en Chevrolet décapotables, en même temps qu'elle encourage les intellectuels français à publier sous pseudonymes américains. Louis Chavance devient Irving Ford, Louis Daquin signe Lewis McDacking, Léo Malet se nomme Frank Harding ou Léo Latimer, Maurice Nadeau se cache derrière Joe Christmas et Boris Vian invente Vernon Sullivan.
Plongé dans La Recherche du temps perdu, Dashiell Hammett écrit à sa compagne Lilian Hellman : "Si Proust ne se décide pas bientôt à en finir avec Albertine, j'ai bien peur qu'il ne perde un client !" .

Jean-Luc Douin. « Le Monde »


QUELQUES OUVRAGES HISTORIQUES
Panorama du film noir américain 1941-1953, de Raymond Borde et Etienne Chaumeton (Flammarion, 1988) ;
Hard Boiled USA, Histoire du roman noir américain, de Geoffrey O'Brien (éd. Encrage, 1989) ;
Le Film noir, de Patrick Brion (Nathan Image, 1991) ;
Le Film noir américain, de François Guérif (Denoël, 1999),
Le Polar, sous la direction de Jacques Baudou et Jean-Jacques Schléret (Larousse, "Totem", 2001) ;
Le Film noir, vrais et faux cauchemars, de Noël Simsolo (éd. Cahiers du cinéma, 2005).
Dashiell Hammett : une vie, de Diane Johnson (Gallimard, "Folio", 1992). Les livres de Dashiell Hammet sont publiés en français par Gallimard.

QUELQUES PERSONNAGES CONTEMPORAINS
Deux dures à cuire, Kinsey Milhone, créée par Sue Grafton (Seuil) et V. I. Warshawski, par Sarah Paretsky (Seuil).
Mais aussi Spenser, romantique et gastronome, dû à Robert B. Parker (Gallimard).
Matt Scudder, ex-flic, ex-alcoolo, de Lawrence Block.
Ou encore le premier dur "homo", Dave Brandstetter, de Joseph Hansen (Rivages).
Et un Cubain : Mario Conde, dénicheur de livres rares, de Leonardo Padura (éd. Métailié).

Pour Voir d'autres Photographies, RDV dans la Galerie photos... The Maltese Falcon (1941) John Huston

Extrait VO : The Maltese Falcon (1941) John Huston

Brutti Sporchi e Cattivi | Affreux, Sales et Méchants | 1976 | Ettore Scola



Titre Français : Affreux, Sales et Méchants

Titre original : Brutti Sporchi E Cattivi

Année : 1976


Pays :
Italie - Comédie dramatique - 1h55

Réalisation : Ettore Scola

Scénario : Ettore Scola, Sergio Citti, Ruggero Maccari.

Photographie : Dario Di Palma.

Musique : Armando Trovajoli.

Production : Romano Dandi, Carlo Ponti.

Interprètes : Nino Manfredi (Giacinto Mazzatella), Francesco Anniballi (Domizio), Maria Bosco (Gaetana), Giselda Castrini (Lisetta), Alfredo d'Ippolito (Plinio), Giancarlo Fanelli (Paride), Marina Fasoli (Maria Libera), Ettore Garofolo (Camillo), Marco Marsili (Marce), Franco Merli (Fernando), Linda Moretti (Matilde), Luciano Pagliuca (Romolo), Giuseppe Paravati (Tato), Giovanni Rovini (Antonecchia)...


LES DERACINES D'ETTORE SCOLA

Affreux, Sales et Méchants (Brutti Sporchi e Cattivi) est « un spectacle délirant où le gag débridé aboutit à la plus lucide observation sociale », Archive Le Monde , en 1976, Jacques Siclier.


Ettore Scola, qui fut souvent scénariste de Dino Risi, a tourné une douzaine de films depuis 1964. Nous ne connaissions que Drame de la jalousie (1970) lorsque, cette année, Nous nous sommes tant aimés a révélé ce réalisateur de 45 ans quasi inconnu et lui a donné, son image de marque.

Peinture de la nostalgie, des illusions et désillusions d'une « génération perdue », Ettore Scola renouvelait la comédie italienne par le réalisme historique, la chronique psychologique et l'éloge de la cinéphilie (références à De Sica, Fellini, Antonioni). On lui fit un succès largement mérité, mais dont pâtit un peu aujourd'hui Affreux, sales et méchants (Brutti Sporchi e Cattivi), présenté au Festival de Cannes et diversement accueilli malgré son grand prix de la mise en scène.


Il est toujours tentant de définir un cinéaste par un seul film réussi, accompli en son genre, et que tout le monde a apprécié. Avec Ettore Scola, il ne s'agit pas de consécration hâtive, mais d'un malentendu engendré, chez nous, par Nous nous sommes tant aimés, dont la tendresse envers les personnages et la délicatesse de touche ne se retrouvent pas dans Affreux, sales et méchants, comédie d'humour noir située dans un bidonville romain. Que Scola, homme de gauche, donne à voir des pauvres, victimes du système capitaliste, qui ne sont ni beaux, ni propres, ni bons, ni vertueux, ni conscients de la lutte des classes, voilà bien de quoi déconcerter les intellectuels cannois et parisiens qui n'envisagent le cinéma politique qu'en fonction d'une idéalisation du prolétariat ! Il faut dissiper ce malentendu.


LES « MAUVAIS PAUVRES »
D'abord, nuançons. Nous sommes en Italie, du côté de Rome, et les pauvres d’Ettore Scola, migrants du Sud italien, des Pouilles et de Sicile, vivant d'activités plus ou moins licites ou pratiquant de bas métiers peu rémunérés, appartiennent, en fait, à un sous-prolétariat replié sur lui-même. Giacinto (Nino Manfredi), patriarche d'une indescriptible famille nombreuse, vivant dans une indescriptible cabane, refuse de partager avec les siens un magot de 1 million de lires, des indemnités reçues pour la perte d'un oeil brûlé par de la chaux vive. Autour de lui, les habitants du bidonville reproduisent, jusqu'à la caricature, l'organisation de la société bourgeoise : hiérarchie familiale et sociale, commerce, activités lucratives (y compris la prostitution), lutte pour le pouvoir et l'argent, moeurs sexuelles...


Cet ordre de la misère est, en creux, celui de l'abondance. On n'a pas l'eau courante, mais on a la télévision, on vend, on troque, on se bat pour un « héritage » jusqu'à chercher à empoisonner le patriarche qui refuse de le céder de son vivant. On exploite même la vieillesse improductive (la retraite de la grand-mère).


Les « mauvais pauvres » de Ettore Scola, on les trouvait déjà dans Les Misérables, de Victor Hugo, avec les Thénardier et leur clique, et dans les bas-fonds londoniens bien organisés de l'Opéra de quat'sous, de Brecht. Mais comme Scola n'emploie ni le lyrisme hugolien, ni la distanciation brechtienne, ni même le paupérisme esthétique de Pasolini (Accatone) ou la pitié désespérée de Comencini (le bidonville de Lo Scopone scientifico), il déconcerte et certains lui reprochent d'avoir fait injure aux miséreux des grandes villes en faisant rire à leurs dépens.


C'est oublier - ou vouloir ignorer - que la « comédie italienne » est le néoréalisme italien moderne et qu'elle englobe, à travers l'humour même poussé au plus noir, tous les problèmes, tous les maux contemporains, dans une attitude politique. Le sous-prolétariat des bidonvilles est une immonde verrue qui pousse inévitablement sur le corps social des sociétés industrielles capitalistes. On ne recrute pas, ou guère, dans cette « classe dangereuse », dont tout le monde cherche à ignorer l'existence, y compris les prolétaires qui ont accès, par leur travail, leur établissement, aux biens de consommation.


L'audace et la force du film de Ettore Scola, de cette énorme farce chargée d'énormes effets, de scènes cruelles et gênantes dans leur développement comique, c'est de faire éclater cette verrue, dans un spectacle délirant où le gag débridé aboutit à la plus lucide observation sociale (le réveil du bidonville, pour ne citer que cela).


La mise en scène fourmille d'idées, et Nino Manfredi, monstre sacré génial, défend son « pognon » contre toutes les ruses et tous les forfaits, comme un notable bourgeois son coffre-fort. Roi de l'enfer suburbain, il joue, avec les siens, Shakespeare au bidonville et, comme il n'a pas de belles manières, il se fait un lavage d'estomac à l'eau polluée, avec une pompe à vélo, pour régurgiter un plat de spaghetti empoisonnés. Le style de Ettore Scola, c'est l'outrance et le sarcasme, sur un sujet qui ne prête pas à l'élégie et qu'il faut savoir regarder en face.


Ettore Scola le sarcastique n'ignore d'ailleurs pas la tendresse lorsqu'il montre des enfants qu'on enferme, pour la journée, dans un enclos grillagé, école et terrain de jeux, lorsqu'il montre l'innocence souillée d'une adolescente qui se retrouve enceinte à la fin du film. Il peint aussi la misère culturelle de ces déracinés dans la scène de la chorale des pauvres s'essayant à chanter, en dialecte, et pour un verre de vin, le choeur de la liberté de Nabucco, de Verdi.



Bande Annonce VO | Brutti Sporchi e Cattivi (1976) Ettore Scola




Rumble Fish | Rusty James | Francis Ford Coppola | 1983


Titre Original : Rumble Fish

Titre Français : Rusty James

Année : 1983

Pays : Etats-unis

Type : Drame / Action

Durée : 1h34

Réalisation : Francis Ford Coppola

Avec : Matt Dillon (Rusty James), Mickey Rourke (Motorcycle Boy), Diane Lane (Patty), Dennis Hopper (le père), Diana Scarwid (Cassandra)...


Francis Ford Coppola
Le réalisateur aux deux Palmes d'or, pour " Conversation secrète " et " Apocalypse Now ", n'a pas aujourd'hui la place qu'il mérite à Hollywood.

Si le plus célèbre des cinéastes italo-américains s'appelle Ford, c'est qu'il est né à Detroit, la capitale de l'industrie automobile. Son père, Carmine, est chef d'orchestre, et sa famille l'accompagne dans ses déplacements incessants. En 1949, Francis, 10 ans, est victime d'une épidémie de polio. Paralysé, il doit garder la chambre près d'un an et s'occupe avec des marionnettes. Adolescent, le jeune Coppola remplace les marionnettes par des êtres humains : il tourne des films en 8 mm auxquels il ajoute une bande-son enregistrée au magnétophone.

Etudiant, il est repéré par Roger Corman, producteur de séries B et grand découvreur de talents. Corman finance son premier long-métrage, Dementia 13, un film noir où l'on note un goût certain pour la tragédie familiale. Coppola travaille aussi comme scénariste, une activité qui lui vaudra son premier Oscar. Il tourne pour Warner Big Boy (1967), un émouvant récit d'apprentissage, puis se retrouve prisonnier du système des studios, aux commandes de La Vallée du bonheur (1968), une comédie musicale avec Fred Astaire. Son film suivant, Les Gens de la pluie, portrait d'une épouse insatisfaite qui plaque tout, est un road-movie saisissant.

Coppola fonde alors American Zoetrope, une société de production destinée à aider Lucas ou Scorsese : toute cette génération de cinéastes qui veulent échapper au carcan hollywoodien.
A partir de cette période, Coppola enchaîne les chefs-d'oeuvre : Conversation secrète, qui baigne dans le climat de paranoïa du Watergate ; Le Parrain, son adaptation magistrale du roman de Mario Puzo, et puis le magnifique Parrain II, qui raconte un demi-siècle d'histoire américaine. Le réalisateur se lance ensuite dans une aventure éreintante et folle : Apocalypse Now. Drogué, rongé d'angoisse, il plonge " au coeur des ténèbres ", comme le héros du court roman de Joseph Conrad qu'il transpose pendant la guerre du Vietnam. Le film est extraordinaire, mais Coppola en sort défait : les producteurs lui tournent le dos.

Il tâte ensuite de tous les genres - la chronique adolescente (Outsiders, Rusty James), la fresque d'époque (Cotton Club, 1984), la comédie (Peggy Sue s'est mariée, 1986) - et revient même à la guerre du Vietnam (Jardins de pierre, 1987). Pendant ce dernier tournage, Coppola perd son fils aîné, Gio, un drame qui hante notamment Le Parrain III.

Ni le dernier volet de la trilogie mythique ni Dracula (1992) ne séduisent assez le public pour que Coppola retrouve la place qui devrait être la sienne à Hollywood. American Zoetrope existe toujours, mais son patron est obligé d'enchaîner les commandes (Jack, avec Robin Williams, 1996 ; L'Idéaliste, avec Matt Damon) et préfère un temps au cinéma la production de vin. On attend pour novembre son adaptation de Mircea Eliade, L'Homme sans âge, et il prépare actuellement en Argentine une épopée italo-américaine, Tetro.

Florence Colombani




Gangster en quête d'idéal

Rusty James
survient à un moment critique de la carrière de Francis Ford Coppola. Alors que les années 1970 ont été celles du triomphe - plusieurs Oscars, deux Palmes d'or, et ce phénomène de société qu'est Le Parrain (1972) -, les années 1980 seront celles des difficultés et des déceptions. Le coût exorbitant d'Apocalypse Now (1979) et l'échec de Coup de coeur (1982) condamnent Coppola au petit budget.

Il choisit d'adapter coup sur coup deux ouvrages de Susan E. Hinton, une romancière populaire notamment chez les adolescents. Outsiders et Rusty James sont tous deux tournés dans l'Oklahoma, avec les jeunes Matt Dillon et Diane Lane. Le premier est un mélo en couleurs très accessible, comme une démonstration de savoir-faire à l'intention des studios ; le second, en noir et blanc et dans un style audacieux qui emprunte à l'expressionnisme allemand, est un " film d'art et d'essai pour ados ", selon une formule du cinéaste.

Le Rusty James du titre (Matt Dillon) a seize ans et vit en marge de la société, entre un père alcoolique (Dennis Hopper) et sa petite bande d'amis délinquants. Il vit dans le culte de son frère, le " garçon à la moto " (Mickey Rourke), qui revient juste à temps d'un périple en Californie pour venir en aide à Rusty et tenter de nouer avec lui un semblant de relation. Les deux personnages s'inscrivent dans une généalogie cinéphile : Rusty ressemble furieusement au James Dean de La Fureur de vivre (Nicholas Ray, 1955), tandis que le garçon à la moto préfère à la société des hommes l'errance perpétuelle, comme Marlon Brando dans L'Equipée sauvage (Laszlo Benedek, 1953).

Coppola revisite ce territoire familier du cinéma américain à sa manière : avec une inventivité constante. Le film est tourné en noir et blanc mais s'autorise quelques taches de couleur pour filmer des poissons que le frère de Rusty aimerait libérer de leur bocal : ils sont bleu et rouge, comme le drapeau américain. Les décors sont noyés de brouillards et des ombres ont été peintes sur les murs par Dean Tavoularis, collaborateur essentiel de Coppola, comme à l'époque du Cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, 1920). Le cinéaste s'en donne à coeur joie dans l'expérimentation formelle mais Rusty James n'est pas un simple exercice de style. Par son motif central - la relation entre les frères et leur père -, le film coïncide avec l'obsession majeure de Coppola : le microcosme familial, dont le gang est ici un substitut.

Florence Colombani - Le Monde




Bande Annonce VO : Rumble Fish | Rusty James (1983) Francis Ford Coppola


M le Maudit | Fritz Lang | 1931

Titre Français : M le Maudit

Titre Original : M Eine Stadt Sucht Einen Mörder

1931 - Allemagne

Policier / Film-noir / Thriller - 1h45

Réalisation : Fritz Lang

Avec : Peter Lorre (Hans Beckert), Gustaf Gründgens (Schraenker), Ellen Widmann (Madaem Beckmann), Inge Landgut (Elsie Beckmann), Otto Wernicke (Inspecteur Karl Lohmann)...

Scénario : Fritz Lang et Thea von Harbou, d'après un article d'Egon Jakobson

Photographie : Fritz Arno Wagner

Décors : Edgar G. Ulmer

Production : Nero Films


Fritz Lang parle de "M le Maudit"

Dans un entretien aux « Cahiers du cinéma » publié en 1966, le réalisateur explique qu'il a fait appel à « douze ou quatorze hors-la-loi » pour tourner la scène du jugement

Après les grandes fresques des Nibelungen, Metropolis et La Femme sur la lune, je me suis intéressé davantage aux êtres humains, aux mobiles de leurs actes. Contrairement à ce que beaucoup de gens croient, M le Maudit n'était pas tiré de la vie de l'infâme assassin de Düsseldorf, Peter Kürt. Il se trouve qu'il avait juste commencé sa série de meurtres pendant que Thea von Harbou et moi étions en train d'écrire le scénario. Le script était terminé bien avant qu'il ne soit pris.

En fait, la première idée du sujet du film M m'est venue en lisant un article dans les journaux. Je lis toujours un peu les journaux en quête d'un point de départ pour une histoire. A cette époque, je travaillais avec la Scotland Yard de BerlinAlexanderplatz), et j'avais accès à certains dossiers dont la teneur était assez confidentielle. C'étaient des rapports sur d'innombrables assassins comme Grossman de Berlin, le terrible Ogre de Hanovre (qui a tué tant de jeunes gens) et d'autres criminels de même acabit.

Pour le jugement, dans M, je reçus l'aide inattendue d'une organisation de malfaiteurs parmi lesquels je m'étais fait des amis au début de mes recherches pour le film. En fait, j'ai vraiment utilisé douze ou quatorze de ces hors-la-loi, qui n'étaient pas effrayés à l'idée d'apparaître devant ma caméra car ils avaient déjà été photographiés par la police.


MON PREMIER FILM PARLANT
D'autres auraient bien aimé m'aider, mais ils n'ont pas pu le faire, parce qu'ils n'étaient pas connus des brigades criminelles. J'étais en train de finir le tournage des scènes où se trouvaient donc de véritables malfaiteurs, quand j'ai été informé que la police arrivait. Je l'ai dit à mes amis, mais en les priant de rester pour les deux dernières scènes. Ils acceptèrent tous et j'ai tourné très rapidement. Quand la police arriva, mes scènes étaient dans la boîte et mes « acteurs » avaient tous disparu

Si j'avais été associé à un producteur, je n'aurais jamais pu faire ce film. Quel producteur aurait voulu d'un film sans histoire d'amour et où le héros est un assassin d'enfants ? Comme M était mon premier film parlant, j'ai fait des expériences avec le son, qui n'étaient évidemment pas possibles dans le cinéma muet.

Souvenez-vous du mendiant aveugle qui va au Bazar des mendiants pour louer un orgue à main : quand on lui joue un morceau, quelques fausses notes heurtent son ouïe ; brusquement, il met ses mains sur ses oreilles pour ne plus entendre ces sons discordants et, au même moment, la musique s'arrête dans le film. Il y a d'autres moments où je me suis servi du son : les pas dans le silence étrange d'une rue, la nuit, ou bien la respiration lourde du tueur d'enfants.

Mais, de même que le son peut donner de l'intensité à une scène, la suppression délibérée d'une action peut en augmenter le contenu dramatique. Laissez-moi vous expliquer... Quand l'enfant est tuée, sa petite balle sort en roulant d'un buisson et finalement s'arrête. Le public l'a identifiée avec la petite fille et à partir de cela, par association d'idées, il sait qu'avec le mouvement de la balle, la vie de la petite fille s'est arrêtée aussi.

Je ne pouvais pas, bien sûr, montrer d'horribles violences sexuelles sur cette enfant, mais en ne montrant pas l'action, j'obtenais plus de réactions chez le public que si j'avais réellement montré la scène en détail. J'obligeais le spectateur à se servir de sa propre imagination.


UNE SORTE DE PSYCHANALYSTE
D'autre part, un simple procédé peut augmenter l'intensité d'une scène en montrant ce que l'acteur est supposé penser. Vous souvenez-vous du « gadget » mobile dans la vitrine d'une boutique de jouets ? Une flèche se déplaçant de haut en bas vers l'oeil d'un taureau ?... Cela prend pour le meurtrier une signification sexuelle dont le public est pleinement conscient... [...]

J'ai souvent dit qu'un metteur en scène, travaillant avec des acteurs, devait être une sorte de psychanalyste, non pas pour les acteurs eux-mêmes, bien sûr, mais pour les personnages. Ils existent d'abord sur le papier ; le metteur en scène doit les faire vivre pour l'acteur, puis pour le public.

Un jour, à Hollywood, un écrivain m'a dit : « Je sais exactement ce que vous pensiez quand vous tourniez telle scène de M », et je lui ai répondu : « Dites-le. » Il m'a longuement débité sa théorie et c'était complètement faux. Du moins, je le pensais à l'époque, mais des années plus tard, alors que j'étais en pleine conférence de presse à Paris et que je racontais cette anecdote, je me suis arrêté net, parce que j'ai réalisé qu'il pouvait y avoir une profonde vérité dans ce genre de choses... que ce que l'on appelle la « touche » d'un metteur en scène venait de son subconscient - et lui-même en est inconscient quand il fait son film...

Gretchen Weinberg
Une confession de Fritz Lang "Cahiers du cinéma" publié en Juin 1966


L'Auteur en Majesté

Comme Griffith , Murnau et quelques autres, Fritz Lang fait partie de la petite communauté de cinéastes qui, d'emblée, malgré une méfiance originelle envers un art jugé impur, ont été considérés comme des artistes majeurs. A tel point que le créateur de Metropolis, en 1927, en est venu à incarner l'Auteur dans toute sa majesté (et à jouer ce rôle dans Le Mépris réalisé par Jean-Luc Godard en 1963).

Pendant sa carrière européenne, de 1919 avec Le Maître de l'amour à 1934 avec Liliom, Lang exerce un contrôle absolu sur la fabrication de ses films. A Hollywood (de Furie en 1936 au Diabolique Docteur Mabuse en 1960), il luttera pour conserver sa liberté.

Il avait tout du mythe : l'oeuvre géniale, où se succèdent les chefs-d'oeuvre, et une incroyable personnalité.

Prenons par exemple l'histoire de sa convocation par Goebbels. Il venait de réaliser un film ouvertement antinazi, Le Testament du Docteur Mabuse en 1932. Mais voici que le ministre de la propagande lui déclare : « Le Führer a vu votre film Metropolis et a dit : voici l'homme qui créera le cinéma national-socialiste. » « Le soir même, j'étais dans le train », racontait Lang. L'anecdote manque de sérieux historique ? Qu'importe, elle est plus langienne que nature avec son mélange d'angoisse et de panache.

Fritz Lang était né à Vienne, en 1890, dans la bonne bourgeoisie catholique (sa mère, juive, s'était convertie). Tenté par la peinture, il se découvre, à Berlin, une vocation de cinéaste. Décision qui naquit, écrivit-il, « d'une conviction étrange, presque somnambulique ».

Sa première femme se suicide après l'avoir découvert dans les bras de sa scénariste, Théa von Harbou. Lang est soupçonné de meurtre, expérience qui le laisse paranoïaque : son amie et biographe Lotte Eisner raconte que, jusqu'à trente ans plus tard, établi à Beverly Hills, il notait tous ses faits et gestes dans un « épais volume » pour avoir toujours un alibi irréfutable à disposition.

Dans les films allemands, son style est déjà d'une audace étonnante. Surimpressions admirables dans Docteur Mabuse en 1922 ; géométrie précise dans Les Nibelungen en 1924 et le futuriste Metropolis en 1926.

Les ombres qui planent sur M le Maudit annoncent l'avenir immédiat de l'Allemagne. Plus largement, elles témoignent d'une conception de l'homme fondée sur la pulsion de mort. « Le désir de blesser, le désir de tuer, écrivait-il, sont étroitement liés au besoin sexuel, sous l'empire duquel aucun homme n'agit raisonnablement. »

La mort, « le plus grand drame », qui « a toujours le dernier mot », hante toute son oeuvre, des sublimes films noirs (La Femme au portrait en 1944 ; Le Secret derrière la porte en 1948) au chef-d'oeuvre sur l'enfance déguisé en film d'aventures (Les Contrebandiers de Moonfleet en 1955).

Il s'éteint en 1976, seize ans après un dernier Mabuse, laissant une oeuvre immense. « Lang, qui vivait avec tant d'intensité, ne se laisse pas réduire - lui et ses films - à un dénominateur commun », écrivait Lotte Eisner.

Florence Colombani
Article Le Monde dans l'édition du 03.10.2004



M ou l'Esprit de la Lettre

C'est à la lettre, évidemment, qu'il faut prendre le plan le plus connu de M le Maudit. Etonnante cinégénie de ce caractère central de l'alphabet qui s'inscrit au milieu de l'écran au moment où le tueur de fillettes découvre dans un miroir la marque infamante qui le désigne à la vindicte publique. Il n'est guère moyen, en effet, de différencier le M majuscule de son reflet.

La lettre et son double viennent illustrer un principe de réversibilité dont l'affirmation, répétée tout au long du film, continue à fasciner et à déranger le spectateur du XXIe siècle. Aplanissement de tous les pôles, perte des points de repère : le premier opus parlant de Fritz Lang fait partie de ces rares chefs-d'oeuvre dont la consécration ne réussira jamais à éroder le pouvoir subversif.

Lorsque tant d'autres films jouent de la transformation, M proclame, comme son héros psychopathe, que je est aussi un autre. Manière d'affirmer, en radicalisant le modèle romanesque de Stevenson (que Lang ne fera qu'adapter tout au long de sa carrière), que Dr Jekyll est Mr Hyde. Il faut donc revenir au personnage de Hans Beckert, créature hallucinée interprétée par un Peter Lorre extatique, et l'entendre déclarer à ses juges en une séance fulgurante d'auto-analyse : « Je sens que quelqu'un me suit par les rues. C'est l'autre qui me poursuit. Et parfois j'ai l'impression de me poursuivre moi-même. »

Dès lors, la culpabilité du tueur d'enfants n'a plus d'égale que son insupportable irresponsabilité. Sa question toute rhétorique « Est-ce que je peux faire autrement ? » renvoie à l'idée d'une malédiction à l'antique que la traduction française du titre, pourtant excessivement bavarde, perçoit avec justesse. La force de Lang est précisément de ne pas escamoter le scandale et le trouble que suscite ce point de vue. Le cinéaste donne donc la parole aux tenants de la plus radicale des politiques répressives et les laisse ironiser sur l'innocence d'un criminel qu'ils ont condamné bien avant la mascarade du procès.


TRIBUNAL DE GUEUX ET DE CRIMINELS
« Elle est bonne ! Pour qu'on te déclare irresponsable et qu'on te cajole dans une maison de santé ! Puis tu t'échapperas ou il y aura une amnistie. Et toi, peinard, t'as rien à craindre : t'es irresponsable. Tu zigouilleras encore des fillettes ! » Discours universellement connu que celui des tenants de la peine de mort, avec lequel le cinéaste prend ses distances. C'est un tribunal de gueux et de criminels - présidé par un chef de gang dont la blondeur, le manteau de cuir et la froide brutalité dessinent avant l'heure le nazi archétypal - dont les résolutions eugénistes invitent à l'exécution : « Il faut l'exterminer. Il faut l'éliminer. » Termes terrifiants au regard de l'Histoire.

Gardons-nous pourtant de conclure à la supériorité de la justice régulière sur celle de la pègre. Le procès souterrain n'est sans doute que la métaphore du procès régulier. L'issue de ce dernier, dont Lang feint de se désintéresser, ne sera probablement pas différente pour l'accusé. Les citoyens ordinaires n'ont-ils pas fait montre dès les premières minutes du film d'un goût pour le lynchage que ne renie pas la faune de l'Unterwelt ?



Comment, d'ailleurs, ne pas interpréter dans le même sens la quête parallèle des hors-la-loi et des policiers ? Et le comble que représente la victoire de bandits bien organisés prenant de vitesse les autorités dans leur traque du criminel ? Le commissaire ment à celui qu'il veut faire avouer. Le cambrioleur pris sur le fait se compare à un « nouveau-né ». L'assassin est formellement reconnu par un aveugle. C'est bien un monde où se répondent vrais coupables et faux innocents qui se dessine.

La puissance démonstrative du raccord sonore enfonce le clou : une phrase commencée par un policier peut être terminée par un truand. Le genre même du film est contaminé par cette confusion généralisée. La multiplication des documents écrits - journaux, affiches, lettres - ainsi que la description minutieuse des indices et des méthodes d'investigation des enquêteurs abolissent la frontière du documentaire et de la fiction. Ne subsiste alors que le doute hyperbolique et violemment pessimiste d'un cinéaste qui n'hésite pas à s'impliquer dans le scepticisme ambiant. Nul n'a oublié l'obsédante Chanson de Solveig, tirée de Peer Gynt, de Grieg, qui sert de leitmotiv aux apparitions du criminel. Devant l'incapacité de Peter Lorre à siffloter la fameuse scie, Fritz Lang choisit, dit-on, d'interpréter lui-même l'entêtante mélodie du tueur. Et de devenir, à jamais, la doublure de M.

Thierry Méranger - Le Monde



Extrait : M le Maudit (1931) Fritz Lang






Printemps, Eté, Automne, Hiver... et Printemps | Kim Ki-Duk | 2003


Titre Français : Printemps, été, automne, hiver ... et printemps

Titre Original : Bom, Yeoreum, Gaeul, Gyeowool, Geurigo, Bom

2003 - Corée du Sud / Allemagne - Drame - 1h43

Réalisation : Kim Ki-duk

Avec : Oh Young-soo, Kim Jong-ho , Seo Jae-kyeong , Kim Young-min et Ha Yeo-jin








Kim Ki-duk sur tous les tons

Parfait autodidacte, cinéaste prolifique et coqueluche des festivals internationaux, il est l'une des figures les plus atypiques du cinéma coréen contemporain. Kim Ki-duk naît en 1960 à Bonghwa (Corée du Sud). Sa famille l'attend agriculteur ou ouvrier, mais à 20 ans, il s'engage dans la marine. En 1990, il débarque en France pour étudier les arts plastiques et vend ses dessins dans les rues de Montpellier. De retour au pays, il écrit plusieurs scénarios qui reçoivent des prix. En 1996, il passe à la réalisation, avec The Crocodile, dont le personnage central collectionne les corps des noyés du fleuve Han.

Plutôt confidentiels en Corée, ses films poétiques et violents sont très vite remarqués à l'étranger. L'un des plus réussis, L'Ile, est un grand succès de festival (on le voit notamment à Venise et Sundance), et collectionne les prix. Kim Ki-Duk affirme alors un goût certain pour l'expérimentation. Il tourne Real Fiction, dont le héros est un homme en pleine crise de folie meurtrière, en seulement trois heures et vingt minutes, avec un dispositif de douze caméras.

Address Unknown marque son retour à une forme plus traditionnelle, sur un sujet politique : le film se passe sur une base de l'armée américaine et évoque les traumatismes de la guerre de Corée. La poésie bucolique de Printemps, été, automne, hiver... et printemps finit de l'imposer en Occident, tandis que l'agressif Bad Guy séduit un large public en Corée.

En 2004, au Festival de Berlin, Kim Ki-duk remporte l'Ours d'argent du meilleur réalisateur pour son portrait d'une jeune prostituée, Samaria. Il repart aussi de Venise avec le Lion d'argent pour Locataires, une histoire d'amour quasi muette. Les personnages de Kim Ki-Duk sont silencieux, parce que, explique-t-il, « quelque chose les a profondément blessés. Leur confiance dans les autres a été détruite à cause de promesses non tenues. » Guetté parfois par une dérive esthétisante (L'Arc), le cinéaste nourrit des ambitions internationales, et rêve de réaliser lui-même les remakes français ou hollywoodiens de ses propres films.

Florence Colombani
Le Monde du 05 Mars 2006


A la poursuite du nirvana

Plusieurs pistes permettent au spectateur de cheminer au fil des saisons de Kim Ki-duk. La première, annoncée dès le titre du film, ne mène qu'à elle-même et se boucle sur l'évidence tranquille des éternels retours. Un apologue méditatif, concentré avoué de culture bouddhique, impose halte et épure dans l'oeuvre foisonnante et éclectique du réalisateur sud-coréen.

La simplicité du parallèle, quadrature du cycle qui forge l'unité du film, est évidemment désarmante : quatre saisons de la vie d'un temple, situé en pleine nature au milieu du très cinégénique lac Jusanji, renvoient à autant de moments clés dans l'existence d'un homme dont le parcours - naturellement initiatique - est étroitement lié au sublime site depuis sa plus tendre enfance. Histoire d'un disciple, donc, qui n'a guère d'autre choix que l'apprentissage et l'acceptation d'une maîtrise qui le mèneront sans surprise, à son tour et en cinquième saison, à transmettre le témoin de l'enseignement reçu.

Classique, l'indispensable pari de l'unité de lieu garantit en toute logique la sérénité centrifuge et contemplative d'une intrigue qui ne cesse d'affirmer les vertus de la retraite et les vices du siècle. Car, adage bien connu, l'enfer, c'est l'ailleurs. « Tu ignorais que l'extérieur était comme ça ? », s'étonne le vieux moine accueillant l'élève prodigue devenu criminel après avoir fui pour un temps l'ascétisme de la pagode. Stigmatisée, l'erreur ne condamne pas pour autant.

Chaque exaction, après prise de conscience et expiation, permet de franchir un cap. D'où une mémorable séquence de punition où la flamme d'une bougie lèche jusqu'à la rupture la corde qui suspend un corps meurtrier et meurtri. D'où la présence de portes et de portiques qui symbolisent la traversée de seuils d'autant plus symboliques qu'aucun mur ne clôt l'espace.

Défense et illustration du passage qu'illustre également le goût du réalisateur pour la déclinaison : saisons, âges de la vie, bestiaire, états de la matière - comme le confirme l'exploration du solide, du liquide et du vaporeux de l'élément aquatique - sont toujours saisis dans la perspective d'une évolution qui culminera, comme il se doit, sur les hauteurs intemporelles d'un des sommets environnants ; l'ultime effort du maître aura alors affranchi corps et objets des contraintes de la pesanteur en installant au poste d'observation la statue de Bouddha qui a accompagné ses pérégrinations.

Derrière ce parcours balisé se dessinent malgré tout en filigrane d'autres itinéraires plus aventureux. Chemins qui ne mènent nulle part, ces échappées sont aussi précieuses pour le spectateur que l'arrivée de visiteurs étrangers chez les étranges créatures du lac. « C'était le bon remède », commente malicieusement le vieux sage qui vient de laisser à son disciple adolescent le soin de parachever la cure d'une jeune neurasthénique en lui faisant l'amour. De même, l'apparition brutale de deux policiers en quête d'assassin expose le vase clos au risque des fêlures de la modernité.

Peu importe en bout de course que la déconfiture des intrus soit instrumentalisée à des fins édificatrices. Lorsque les inspecteurs aident leur prisonnier à accomplir ses tâches rédemptrices ou qu'ils se ridiculisent devant un moine lanceur de caillou, nous retenons surtout la puissance d'instants où le film s'éloigne du programme préétabli du conte philosophique pour caresser d'autres genres. La comédie, certes. Mais aussi et surtout le fantastique. On se plaît alors à remarquer que, loin d'être amarré au centre du lac, le ponton qui soutient le temple dérive sans direction. Dans la brume, Printemps, été, automne, hiver... et printemps devient alors, fugacement, une histoire de magie et de réincarnation, de prédestination et de télékinésie, écrite du bout de la queue par le chat immaculé d'un sorcier calligraphe.

Thierry Méranger

Les "Cahiers du Cinéma"


Initiation à la sagesse

« Printemps, été, automne, hiver... et printemps », du cinéaste coréen Kim Ki-duk, est une fable liturgique sur l'apprentissage spirituel, entre quiétude bouddhique et tentations matérialistes

Des cinéastes comme Hong Sang-soo, Im Kwon-taek et Lee Chang-dong ont imposé récemment le cinéma coréen sur la scène internationale, mais le premier à avoir été remarqué fut Yong Kyun-bae, en 1989, avec Pourquoi Bodhi Dharma est-il parti vers l'Orient ?, une oeuvre prônant l'ascèse dans une esthétique déterminée par le zen.

Or cet autre créateur prolifique qu'est Kim Ki-duk, qui signe chaque fois des films de styles différents, nous rappelle avec Printemps, été, automne, hiver... et printemps que si l'univers des uns et des autres s'avère parfois influencé par des aspirations matérielles et des philosophies occidentales, la Corée reste profondément marquée par la culture bouddhique et la quête du détachement indifférent.

Il serait donc injuste de soupçonner Kim Ki-duk d'opportunisme. Plus que la splendeur visuelle de l'illustration exotique d'un parcours initiatique destiné à l'exportation, c'est l'authenticité d'une croyance en une certaine sérénité qu'il exprime ici, lui qui, après une phase d'athéisme, s'est tourné vers le christianisme et avoue aujourd'hui être en paix avec lui-même grâce aux leçons de Confucius.

On sait que Confucius avait, dans son enfance, tué un oiseau et que ce geste l'avait condamné à être dévoré par le remords du mal. C'est ce qu'il advient du gamin qui, dans Printemps, été, automne, hiver... et printemps, s'amuse à martyriser des animaux en les lestant d'un caillou. Le vieux moine dont il est le disciple dans un temple flottant au milieu d'un lac le condamne alors à se déplacer avec une grosse pierre attachée dans le dos jusqu'à ce que le poisson, la grenouille et le serpent martyrisés soient délivrés de leur martyre. Les sanglots du gamin seront à la mesure de la faute commise, ineffaçable.

La leçon perpétrée au fil des saisons sera la même. Que le gamin devenu moine perde le sommeil face à une jeune fille venue soigner un mal étrange, qu'il succombe au désir sexuel et déserte le temple pour la suivre, qu'il se mue en meurtrier par jalousie, prouve qu'il n'y a pas d'innocence naturelle, que l'homme ne peut acquérir la quiétude qu'en ignorant appétits et tourments, et que quiconque cède aux passions se condamne à la mauvaise conscience. Le pécheur garde éternellement la trace des fautes qu'il a commises.

Simple comme une fable, le film liturgique de Kim Ki-duk affiche une joliesse picturale pour prôner une discipline spirituelle. Aux tentations de luxure, de possession, il oppose la sagesse quasi démiurgique du maître qui voit tout, sait trier d'instinct les herbes comestibles et les plantes vénéneuses, connaît la manière de s'affranchir des pulsions mauvaises et l'art de tirer le meilleur parti du monde vivant.

De belles images parsèment cet itinéraire religieux : des portes qui s'ouvrent sur un décor paisible, un bouddha sculpté dans la glace, un chat dont la queue est transformée en pinceau, un homme qui se couvre les yeux de papiers calligraphiés pour pleurer. Elles font aussi de Printemps, été, automne, hiver... et printemps un film à la poésie déconcertante.

Jean-Luc Douin
Le Monde du 05 Mars 2006



Extrait : Printemps, Eté, Automne, Hiver... et Printemps (2003) Kim Ki-Duk

Festen | Thomas Vinterberg | 1998

FESTEN (Fête de famille, Danemark, 1998, 106 min).

RÉALISATION : Thomas Vinterberg, Morgens Rukov, d'après une idée de Thomas Vinterberg.

PHOTOGRAPHIE : Anthony Dod Mantle D.

SON : Morten Holm.

MONTAGE : Valdis Oskardottir.

PRODUCTION : Nimbus Films APS.

INTERPRÈTES : Ulrich Thomsen (Christian Klingenfeldt), Henning Moritzen (Helge Klingenfeldt, le père), Thomas Bo Larsen (Michael), Paprika Steen (Helene), Birthe Neumann (la mère)


Délivrez-nous du père

DOGMA 95 est le nom du nouveau décalogue à quoi souscrit Thomas Vinterberg : " Tu ne poseras pas ta caméra ; tu n'utiliseras pas de musique off ; tu ne feras pas d'images propres... " Comme toujours avec les dogmes, l'important n'est pas d'y croire (aucun catholique romain ne croit sérieusement à l'infaillibilité pontificale), mais de s'obliger à y croire, et de se livrer pieds et poings liés à des vérités d'apparence. En cela, les signataires de la charte ont quand même une idée forte : le cinéma se doit d'obéir - avec toutes les transgressions d'usage - à des principes improbables qui lui sont extérieurs. Ce ne sont pas les films qui imposent leur forme, mais la forme qui est imposée aux films.

Festen, de Vinterberg ressemble beaucoup aux Idiots, de Lars von Trier, autre film-Dogme, sauf que Vinterberg est plus virtuose et qu'il s'autorise plus de dérangeantes audaces. Résultat : Festen est un film beaucoup plus réussi que Les Idiots. Réussi, au demeurant, n'est peut-être pas le mot puisque tout le film de Vinterberg joue le jeu d'une (fausse) incurie esthétique : découpé et monté en dépit du bon sens, cadré n'importe comment, pas éclairé du tout, mais joué admirablement, ce qui prouve s'il en était besoin que cette incurie n'a pas pour visée la laideur, mais une nouvelle beauté. Une beauté démocratique puisqu'elle renonce à tout ce qui est de l'ordre de la maîtrise technique et prône le bâclé et l'amateurisme formels. Dogmatique en diable, Vinterberg fait semblant de croire à l'art démocratique, il n'ignore pas qu'il faut encore savoir ne pas savoir faire. Pour le reste, Festen ressemble à un film nordique comme il a dû déjà s'en tourner beaucoup et dont le modèle idéal serait Fanny et Alexandre, d'Ingmar Bergman.

Une famille au-dessus de tout soupçon, grande bourgeoise et protestante, se réunit pour fêter le patriarche. Mais tout tourne mal parce qu'un des fils décide de déballer le secret de famille : le père violait ses enfants. Il faudra tout le film pour que les convives se décident à croire le fils violé. Où l'on voit que la question du Dogme a des applications concrètes. La vérité n'est jamais qu'une affaire de croyance, et les convives ne sont pas prêts à remettre en cause si facilement le patriarche qui fut la foi de leur vie. Il faudra au fils, symboliquement nommé Christian, une bonne dose de ténacité et une stratégie compliquée pour produire une nouvelle vérité, aidé en cela par un bienveillant personnel, cuisiniers et femmes de chambre réunis - la domesticité (c'est une affaire de classe) ayant toujours un autre credo que les maîtres.

Ce recours aux cuisines de la maison bourgeoise comme lieu de commentaire de l'action et moteur caché de la machine évoque bien sûr les mongoliens des cuisines de L'Hôpital et ses fantômes de Lars von Trier. Comme aussi il y a dans Festen un fantôme pour venir en aide à Christian (très beau moment). Allusion, hommage d'un Danois à l'autre, vol qualifié ? Plutôt recours à une culture commune où les arrière-mondes sont à portée de main et où le fantastique fait partie des meubles.

Stéphane Bouquet,

"Les Cahiers du cinéma", juin 1998


Du Dogme à Hollywood

S'ÉTONNERA-T-ON d'apprendre que Thomas Vinterberg, né à Copenhague en 1969, a grandi dans une communauté hippie sans aucun point commun avec le cénacle bourgeois perclus de tabous qu'il démolit dans Festen ? Juste retour de bâton, le jeune Thomas devint premier de la classe et plus jeune diplômé de l'Ecole nationale du cinéma, celle où Lars von Trier avait lui-même étudié une dizaine d'années auparavant.

Si la famille comme cellule, ensemble de valeurs, n'a pas structuré son imaginaire, c'est pourtant une utopie familiale qui affleure dans son premier long métrage. Dans Les Héros, Thomas Bo Larsen et Ulrich Thomsen, deux marginaux loufoques, apprennent que l'un d'eux est père d'une fillette de 12 ans. Dès lors, ils n'ont de cesse de la sauver des griffes d'un beau-père violent pour l'embarquer dans leur "road trip" vers la Suède. Le conte doux-amer ne convainc guère, mais la fratrie de Festen est trouvée.

Concocté sur un coin de table avec trois amis cinéastes, le Dogme apporte au tout jeune Vinterberg une contrainte productive. Le 20 mars 1995, à Paris, au Théâtre de l'Odéon, Lars von Trier et Thomas Vinterberg lancent un paquet de tracts rouges dans l'assemblée qui célèbre le centenaire du cinéma. "Le cinéma antibourgeois est lui-même devenu bourgeois", lit-on dans ce manifeste anti-auteur qui recommande de ne plus signer les films.

Les autres commandements de ce "voeu de chasteté" : décors et lumières naturels, son direct, caméra portée, unité de lieu et de temps, musique additionnelle, trucages et armes à feu interdits... De plus, les réalisateurs du Dogme s'engagent à s'abstenir de tout goût personnel et à ne plus se revendiquer artiste ! Au risque d'un rapprochement inattendu, il faut rappeler qu'un Jean Renoir eut à ses débuts un semblable mouvement de réaction envers le cinéma des années 1920 se déclarant pompeusement "artistique" : "Mes camarades et moi, nous haïssions ce mot artistique", rappelle-t-il dans un entretien avec Jacques Rivette en 1966.

Caprice d'enfant gâté ? Restes d'éducation protestante ? Discours de la méthode ? Quoi qu'il en soit, en termes de publicité, le Dogme fonctionne, les demandes de labellisation des films abondent, encore aujourd'hui, en provenance du monde entier. Festen, avec ses airs de film de famille tournant au vinaigre, se pose en exemple séduisant de la " purification " des effets de style.

Pourtant, emporté par un succès inattendu, Thomas Vinterberg, invité au Festival de Cannes en 1998, dévia du Dogme en cédant aux sirènes " bourgeoises " du vedettariat. Il en oublia même de ne pas signer Festen... Le Dogme aura été pour lui un sésame temporaire. Festen, de loin son film le plus réussi, lui ouvre les portes de Hollywood pour davantage de compromis et un sentimentalisme aussi mièvre que dans Les Héros, avec It's All About Love (2002). Même lorsqu'il adaptera, en 2003, un scénario de Lars von Trier, Dear Wendy, une parabole sur l'usage des armes à feu par les adolescents américains qui n'a pas, loin s'en faut, le brio de l'Elephant de Gus van Sant. Renverser le mauvais père n'aura pas suffi à l'enfant terrible du Dogme devenu son enfant gâté.

Charlotte Garson

"Les Cahiers du Cinéma"




Extrait : Festen (1998) Thomas Vinterberg