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The Maltese Falcon | Le Faucon Maltais | John Huston | 1941


Titre Original : The Maltese Falcon

Titre Français : Le Faucon Maltais

Année : 1941

Etats-Unis - Film Noir / Policier - 1h41


Réalisation : John Huston

Avec Humphrey Bogart (Sam Spade), Mary Astor (Brigid O'Shaughnessy), Gladys George (Iva Archer), Peter Lorre (Joel Cairo), Barton MacLane (Det. Lt. Dundy)...





L'invention du noir Par Jean-Luc Douin

Sales histoires. Qui commencent à San Francisco, en 1915. Pour 10 dollars par jour, Dashiell Hammett passe des heures embusqué sous des porches d'immeuble, à filer le train à des suspects. Costume cintré cravate, moustache dandy, ce grand type élégant cache une entaille au crâne sous son feutre impec. Il a des cicatrices aux jambes, il vote rouge, crache du sang. C'est un tubard alcoolo. Officiellement, il est détective privé, à l'agence Pinkerton. Viscéralement, agent trouble. Il hante la ville des vices et des corruptions, ses bars, ses docks, ses champs de courses et ses combats de boxe. Hammett n'est pas homme à protéger la propriété privée, ni à se rendre complice des injustices sociales. Lassitude, écoeurement, démission.

Hammett renaît au début des années 1920. Comme écrivain. Des personnages douteux qu'il a fréquentés, de ces affaires sordides qu'il considère comme de la "pisse d'âne", il fait des nouvelles publiées par le mensuel Black Mask. Engagé comme rédacteur publicitaire à mi-temps chez un bijoutier, il a d'abord adressé ses premiers textes au magazine Smart Set (l'ancêtre du New Yorker), puis découvert que, comme après lui William Burnett, Don Tracy, James Cain ou Horace Mc Coy, venus du journalisme sportif ou criminel, il est l'auteur rêvé des pulp magazines, ces revues vendant de ténébreuses sensations imprimées sur du mauvais papier. Black Mask (dont le nom attise la mythologie du loup noir porté par les héros de la littérature populaire) a été lancé pour renflouer les caisses de Smart Set. Il va peu à peu évoluer vers la littérature hard-boiled, le récit "dur à cuire".

Hommes mélancoliques dans troquets sombres, rousses flamboyantes en négligés affolants, guet-apens dans les impasses, pin-up toisant le fouille-merde en fumant une cigarette ou en le menaçant d'une arme, ombre inquiétante sur un mur, voiture dérapant dans la nuit ou fantôme de blonde errant sous la pluie : c'est là, dans les pulps, les paperbacks à quatre sous, qu'est né un genre qui, depuis, a prospéré en célébrant le crépitant mariage de la mitraillette et de la machine à écrire, puis les noces noires des anges aux figures sales avec le cinéma.

Pas de panique ! Le terme de detective story a été inventé par Edgar Allan Poe, créateur du premier détective amateur (Auguste Dupin). Le Sherlock Holmes d'Arthur Conan Doyle est bien le premier détective privé (créé en 1887), avant que ne naissent un détective-cambrioleur (l'Arsène Lupin de Maurice Leblanc, en 1905), un détective-reporter (le Rouletabille de Gaston Leroux, en 1907), un prêtre-détective (le Père Brown de Chesterton, en 1910). Mais si l'on parle aujourd'hui de film noir, si Quentin Tarantino a fait d'Uma Thurman une sulfureuse séductrice dans Pulp Fiction, c'est à la gloire des hard-boiled aux couvertures tapageuses qu'on le doit (couvertures qui influenceront les affiches des films ténébreux), et à la façon dont Dashiell Hammett transcenda ces histoires où le privé se préoccupe moins de prouver son ingéniosité à manipuler passe-partout et pinces-monseigneur qu'à fumer des tonnes de cigarettes et à vider des bouteilles de whisky dans des chambres d'hôtels miteux.

"Dashiell Hammett, c'est l'ange tutélaire, dit Jean-Bernard Pouy, inventeur en 1995 du Poulpe, un personnage qu'ont fait vivre plusieurs auteurs. C'est d'abord l'homme qui fascine. Plus que les autres, il ressemble à l'idéal des écrivains de l'école du néo-polar français : un type pour lequel l'écriture est importante, mais pas nécessaire. Qui est capable de disparaître pour boire, vivre, aimer, militer. On nous a accusés d'être issus de Mai 68. Erreur ! Tout vient de lui, acteur de son temps !"

"Hammett, le jazz : on a baigné là-dedans. C'est l'emblème du thriller à motivations politiques", dit Alain Corneau, auteur du film Série noire (1979). Tandis que le réalisateur Francis Girod souligne son écriture "qui respirait le cinéma à chaque phrase". Et que l'écrivain Michel Le Bris, le créateur du Festival de Saint-Malo, honore "la sensation d'une inépuisable énergie, d'une écriture vouée aux marges, aux ruelles sordides, aux arrière-cuisines, enfin libérée des ronds-de-jambe et des préciosités salonnardes".

"J'ai la peau dure sur ce qui me reste d'âme et, après vingt années passées dans le monde du crime, je peux regarder n'importe quel meurtre sans y voir autre chose que du beurre dans les épinards, mon boulot quotidien" : telle est la cynique profession de foi de Continental Op, le détective dont Hammett va faire le héros de vingt-six nouvelles et de deux romans, avant d'imaginer Sam Spade, le narrateur du Faucon de Malte (Gallimard). Raymond Chandler trouvera une formule immortelle pour honorer la révolution lancée par Hammett : "Il a sorti le crime de son vase vénitien et l'a flanqué dans le ruisseau. (...) L'idée ne semblait pas si mauvaise de l'éloigner des conceptions petites-bourgeoises sur le grignotage des ailes de poulet par les jeunes filles du grand monde."

Dashiell Hammett n'a cure des haut-le-coeur de la National Organization of Decent Literature, qui demande parfois à la Brigade des moeurs de saisir certains Pocket Books trop éloignés des énigmes pudding d'Agatha Christie. Il est de ceux qui glissent des dragées au poivre dans les thrillers trop rhétoriques et jettent du piment sur "la langue de bois des politiciens, des prédicateurs, des hommes de loi". Ouvertement lancés comme des pavés contre l'Amérique capitaliste, les textes d'Hammett allient critique sociale, violence documentaire, lyrisme brutal. Il ne s'agit plus, chez lui, de mettre en valeur les subtiles déductions d'un invulnérable enquêteur, mais de plonger un incorruptible désabusé dans une atmosphère glauque, de le faire réagir avec ses nerfs et ses tripes, de lui faire plonger les mains dans l'ordure, de le faire se faufiler chez les crapules. Il n'y a plus de crimes parfaits, il n'y a que des meurtres odieux. Il n'y a plus d'énigme prétexte à divertissement cérébral, mais la sensation suffocante de s'immiscer dans l'empire du Mal. Le tout dans un style efficace, qui "claque comme un coup de fouet", un langage cru, un découpage de séquences rapide et frénétique.

C'est ainsi que, jusqu'en 1952 - date à laquelle la croisade anti-communiste allait s'acharner contre lui -, Hammett fut constamment réédité et que son influence grandit. C'est ainsi que les studios hollywoodiens achetèrent les droits d'adaptation des pulps, et engagèrent certains de leurs auteurs comme scénaristes. C'est ainsi que, transposé au cinéma par John Huston en 1941, Le Faucon maltais donne au film noir un radical coup de punch. Le cinéaste impose des lieux (local du privé, appartement de la vamp, ruelles abandonnées), des objets (téléphone, chapeau feutre, cigarettes), des personnages (femme fatale aux yeux cobalt, Levantin parfumé, chérubin meurtrier, gangster épicurien aux râles asthmatiques), et un climat morbide où rôdent peurs et désirs.

Le héros est un homme sans état civil ni morale, qui manie l'humour à froid et l'ironie nonchalante. Il a un langage et une conduite à heurter les douairières, un flegme misogyne à l'égard de ses maîtresses. Hammett en savait long sur les tueurs à gages et les maniaques sexuels, les politiciens corrompus et les dames nymphomanes, les avocats véreux et les tenanciers de boîtes louches. De l'assassinat qui donne le coup d'envoi de ses mystères, il ne donne à voir qu'un coup de revolver dans le brouillard. Après, "les dialogues parlent à la place des armes, écrit Roger Tailleur dans Positif (N° 75, mai 1966), les personnages se mitraillent de mots", lesquels s'appliquent à "compliquer les malentendus, à entortiller l'adversaire".

Tandis que le film noir se propage un peu partout, en Italie (Ossessione de Luchino Visconti, 1942), Angleterre (Le Troisième Homme de Carol Reed, 1947), Japon (Chien enragé d'Akira Kurosawa, 1949), France (Bob le Flambeur de Jean-Pierre Melville, 1955), Egypte (Gare centrale de Youssef Chahine, 1958), et qu'il vampirise tous les genres hollywoodiens, contaminés par les thèmes de la loi et du désordre, de la corruption, du destin fatal, dans des esthétiques brumeuses, vouées aux fantasmes morbides et au cauchemar, est créée en France en 1945 par Marcel Duhamel, chez Gallimard, la "Série noire", appellation trouvée par Prévert.
Bientôt accompagnée, chez les concurrents, par d'autres collections ("Le Bandeau noir", "La Veuve noire", "Fleuve noir"...), cette collection fascine les amateurs de filles fatales en bas Nylon et de dérives en Chevrolet décapotables, en même temps qu'elle encourage les intellectuels français à publier sous pseudonymes américains. Louis Chavance devient Irving Ford, Louis Daquin signe Lewis McDacking, Léo Malet se nomme Frank Harding ou Léo Latimer, Maurice Nadeau se cache derrière Joe Christmas et Boris Vian invente Vernon Sullivan.
Plongé dans La Recherche du temps perdu, Dashiell Hammett écrit à sa compagne Lilian Hellman : "Si Proust ne se décide pas bientôt à en finir avec Albertine, j'ai bien peur qu'il ne perde un client !" .

Jean-Luc Douin. « Le Monde »


QUELQUES OUVRAGES HISTORIQUES
Panorama du film noir américain 1941-1953, de Raymond Borde et Etienne Chaumeton (Flammarion, 1988) ;
Hard Boiled USA, Histoire du roman noir américain, de Geoffrey O'Brien (éd. Encrage, 1989) ;
Le Film noir, de Patrick Brion (Nathan Image, 1991) ;
Le Film noir américain, de François Guérif (Denoël, 1999),
Le Polar, sous la direction de Jacques Baudou et Jean-Jacques Schléret (Larousse, "Totem", 2001) ;
Le Film noir, vrais et faux cauchemars, de Noël Simsolo (éd. Cahiers du cinéma, 2005).
Dashiell Hammett : une vie, de Diane Johnson (Gallimard, "Folio", 1992). Les livres de Dashiell Hammet sont publiés en français par Gallimard.

QUELQUES PERSONNAGES CONTEMPORAINS
Deux dures à cuire, Kinsey Milhone, créée par Sue Grafton (Seuil) et V. I. Warshawski, par Sarah Paretsky (Seuil).
Mais aussi Spenser, romantique et gastronome, dû à Robert B. Parker (Gallimard).
Matt Scudder, ex-flic, ex-alcoolo, de Lawrence Block.
Ou encore le premier dur "homo", Dave Brandstetter, de Joseph Hansen (Rivages).
Et un Cubain : Mario Conde, dénicheur de livres rares, de Leonardo Padura (éd. Métailié).

Pour Voir d'autres Photographies, RDV dans la Galerie photos... The Maltese Falcon (1941) John Huston

Extrait VO : The Maltese Falcon (1941) John Huston

Citizen Kane | Orson Welles | 1941



Titre Original : Citizen Kane

Année : 1941

Pays : Etats-unis

Type : Drame

Durée : 1h59

Réalisation : Orson Welles

Avec Orson Welles (Charles Foster Kane), Joseph Cotten (Jedediah Leland, le reporter), Dorothy Comingore (Susan Alexander Kane), Agnes Moorehead (Mme Mary Kane), Ruth Warrick (Emily Monroe Norton Kane)...

Article de Jean-Michel Frodon (Le Monde 07-05-99).

Orson Welles et Citizen Kane dynamitent les écrans américains.
Citizen Kane. Le premier film de ce cinéaste de vingt-cinq ans issu du théâtre ne constitue pas seulement la manifestation d'un génie inventif. Il révolutionne la mise en scène cinématographique et offre une multiplicité de points de vue.

Citizen Kane sort le 1er mai 1941 aux Etats-Unis et ne ressemble à rien de connu. En apparence, biographie à la gloire de Charles Foster Kane, magnat de l'industrie et de la presse, ce puzzle offre une multiplicité de points de vue et révolutionne la mise en scène cinématographique : effets spéciaux, images composites, montage, rimes visuelles, narratives ou sonores. Génie nul en diplomatie, Orson Welles met déjà en péril son avenir à l'intérieur du système hollywoodien. Le film s'attire les foudres du grand patron de presse William Randolph Hearst, qui se sent visé et tentera de le racheter pour détruire le négatif. Welles a vu venir l'ascension du quatrième pouvoir, le contrôle industriel de l'information qui modifie les règles du jeu politique.


Mai 1941. Citizen Kane, premier film d'un cinéaste de vingt-cinq ans, déjà adolescent prodige du théâtre américain et figure en vue du monde de la culture et des médias, de New York à Los Angeles, ne ressemble à rien de connu. Comme si, d'un coup, un jeune géant rieur et orgueilleux avait tout inventé. C'est faux bien sûr. Mais invention, réinvention, ou utilisation novatrice de propositions déjà explorées par d'autres, ce film sorti aux Etats-Unis le 1er mai 1941 et que l'Europe continentale découvre à la fin de la guerre (en France, le 3 juillet 1946) est bien un séisme dans l'histoire de ce qu'on a appelé l'art du siècle, le cinéma.



De quoi s'agit-il ? En apparence, d'un genre qu'affectionne Hollywood, le film biographique à la gloire des grands personnages que le cinéma américain aime à élever en héros exemplaire offert à l'admiration des foules. En fait, de la désarticulation savante et magnifique du genre pour élaborer, avec les mêmes éléments disposés autrement, une idée créatrice de la mise en scène.
Le film s'ouvre sur la mort de Charles Foster Kane, magnat de l'industrie et de la presse retiré dans son palais baroque après le scandale de moeurs qui a mis un terme à ses ambitions politiques. Un journaliste des actualités filmées va enquêter sur son passé et interroger ses proches afin de comprendre ce personnage excentrique et munificent. Avec un indice, un signe de piste, « Rosebud », terme incantatoire et mystérieux, le dernier mot prononcé par le mourant.




Outre la reconstitution de l'enfance et des débuts dans la vie du héros, on découvrira les multiples facettes du personnage grâce aux témoignages du banquier Thatcher, de Bernstein qui fut le collaborateur dévoué de Kane et de Leland qui fut son ami, de Susan, sa maîtresse devenue sa seconde épouse, et du serviteur des derniers jours, Raymond. Il n'y a pas de résolution à ce récit qui ressemble au grand puzzle montré dans l'une des ultimes séquences, au sein du palais de Xanadu. Là s'entassent les vains vestiges d'une razzia sur les trésors artistiques du monde, dans un décor à la profusion délirante qui aurait pu être celle de Kubilai Khan telle que la chanta Coleridge - En Xanadou, lui, Koubla Khan, S'édifia un fastueux palais... Kubilai Khan étant l'une des très nombreuses origines au patronyme Kane proposées par les exégètes, qui se réfèrent aussi volontiers à Kafka qu'à Conrad. Le premier long métrage d’Orson Welles devait en effet d'abord être une adaptation du roman Au coeur des ténèbres.

C'est la réalisation du court métrage Too Much Johnson qui aurait donné le virus de la réalisation à l'animateur du Mercury Theatre. Homme de scène (et de radio) autant reconnu comme acteur que comme dramaturge, Orson Welles a puisé dans le théâtre nombre des avancées modernes qui caractérisent la construction et la mise en scène de Citizen Kane. Progressiste sur le terrain politique (la pièce The Craddle Will Rock, exaltation de la lutte syndicale montée par lui à Broadway, fut interdite en 1937), Orson Welles a conçu un film qu'on peut lire comme la critique de l'ambition démesurée du grand patron à l'américaine. C'est pourquoi le magnat de la presse William Randolph Hearst, se sentant visé par le film, déchaîna ses journaux contre lui. Mais il est surtout un génial inventeur de formes, dont certaines s'inspirent de ces deux fondateurs de la modernité théâtrale que sont Brecht et Pirandello.
 
On retrouve la distanciation du premier avec le « film dans le film ». Du second, on reconnaît l'intercession d'un narrateur, la multiplicité des points de vue. La mise en cause de l'objectivité des faits montrés naît de l'addition des témoignages recueillis par Thompson. Mais Citizen Kane innove avec les outils du cinéma infiniment plus qu'il n'emprunte aux autres arts. Du scénario, cosigné avec Herman Mankiewicz, et qui bouscule à la fois chronologie et « niveaux de récit », jusqu'à la musique (de Bernard Herrmann), Welles modifie toutes les composantes de la mise en scène cinématographique.

Recourant aux effets spéciaux, il invente une écriture originale par les angles de caméra, les lumières excessivement puissantes ou faibles, le recours aux images composites, les cadrages à l'objectif grand angle (où l'on « voit les plafonds », signature anecdotique). S'y ajoutent l'intervention sur le son, le montage qui fait alterner des durées dilatées ou brutalement abrégées, la création de rimes visuelles, narratives et sonores. L'immense apport d'un tel film suscitera sans nul doute plus de vocations de cinéaste, et plus d'envie de penser et d'écrire sur le cinéma, qu'aucun autre titre de toute l'histoire de ce moyen d'expression.

Est-ce à dire que l'artiste démiurge (il est à la fois réalisateur, scénariste, interprète principal et producteur) a tout inventé ? Naturellement non. Les formalistes russes, les expressionnistes allemands, les adeptes du cinéma d'art français et d'autres Américains, de Griffith à Ford, ont exploré nombre des voies qu'emprunte Citizen Kane. Mais ce film, qui n'a à première vue rien d'« expérimental », propose d'un coup un point de convergence de tous ces apports, au service d'un grand récit d'ascension et de chute qui se place d'emblée dans le domaine du mythe.

Rompant avec les codes formels établis par l'industrie des images, il ne constitue pas seulement la manifestation d'un génie inventif hors pair. Lorsque Orson Welles lui-même déclare : « Le public est seul juge. Kane était à la fois égoïste et désintéressé, c'était à la fois un idéaliste et un escroc, un très grand homme et un individu médiocre. Tout dépend de celui qui en parle. (...) Le but du film réside d'ailleurs plus dans la représentation du problème que dans sa solution », il définit l'enjeu démocratique de la modernité cinématographique : la mise en scène ouverte, laissant place au spectateur au lieu de lui asséner un « sens de l'histoire » décidé hors de lui.


Extrait Video : Citizen Kane (1941) Orson Welles